Alice Chougnet

Alice Chougnet grandit dans un environnement scientifique tourné vers la recherche fondamentale. La recherche devient véritablement une évidence quand sa tante, chimiste, l’invite à passer une journée dans son laboratoire. Elle intègre l’ESPCI, qui a un impact majeur dans sa carrière puisque le directeur en est Pierre-Gilles de Gennes. Elle se souvient qu’il voulait “former des ingénieurs de recherche, avec un enseignement pratique et théorique dans différents domaines. C’est extrêmement important car même si on finit tous par se spécialiser, il voulait qu’on soit capable de continuer à parler de tout, qu’on ait un bon niveau en physique, en chimie et en biologie. Par exemple, on devait regarder, en petit groupe, des articles de recherche de pointe dans différents domaines. Cela m’a rendue à l’aise avec l’idée de changer de domaine, de ne pas être spécialiste de quelque chose mais d’être quand même capable de parler avec des spécialistes de la question”

Une plasticité d’esprit qui lui sert ensuite dans sa carrière puisque, devenant ingénieure dans l’industrie pétrolière, au sein du groupe Schlumberger, elle est amenée à changer plusieurs fois de domaines et de façon drastique. Elle est par exemple envoyée au cœur des opérations de forage, sur le terrain, avant de retourner en Recherche & Développement. “Cela permettait de voir à quoi servait ce que l’on développait, d’autant plus dans un contexte industriel compliqué.” Les années passant, elle commence à s’interroger. “A l’approche de la quarantaine je me suis demandé si ce que je faisais avait vraiment du sens. Pourquoi extraire encore plus de pétrole ? Je me suis rendu compte que je ne pouvais pas continuer. Cela a été compliqué car à l’époque personne ne comprenait ce qui motivait mon changement de vie.”

Une prise de conscience écologique qui l’amène à se détourner de l’industrie pétrolière pour fonder sa propre entreprise. Plutôt que de rejoindre une entreprise déjà tournée vers la transition écologique et énergétique, Alice Chougnet préfère se lancer dans l’innovation. “J’avais envie d’aller un cran plus loin, quitte à franchir le pas, c’était le moment de devenir entrepreneur. Autant essayer de faire quelque chose de complètement sincère et éviter les risques de greenwashing en étant à la tête et en pleine maîtrise de l’engagement.” Elle décide donc de compléter sa formation technique d’ingénieure en rejoignant l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC), avec le programme HEC Challenge Plus, qui accompagne les entrepreneurs et créateurs de projets innovants en high-tech.

Un redémarrage à zéro pour cette ingénieure devenue cheffe d’entreprise. Alice Chougnet co-fonde en 2018 Geosophy, avec un autre ingénieur lui aussi issu de l’industrie pétrolière. Elle utilise ses connaissances des sous-sols et de la géothermie qui descend en profondeur et extrait la chaleur issue de la décomposition de roches radioactives, pour développer la géo-énergie qui descend à seulement quelques mètres de profondeur et capte la température constante du sol, aux alentours de 15°C pour chauffer les bâtiments l’hiver et les rafraîchir l’été. “C’est un principe connu mais comme cette technologie est très dépendante des besoins des bâtiments et de l’espace et la géologie qu’il y a autour, c’est assez complexe d’évaluer combien cela va coûter, combien d’énergie on pourra trouver…” Elle est donc peu répandue, en tous cas en France, car cette technologie existe déjà bien ailleurs, en Suisse et en Suède par exemple. “Les pays nordiques sont très en avance, dès les chocs pétroliers des années 1970 ils ont pris les choses en main et ont équipé les petits bâtiments de cette technologie. En France nous n’avons pas encore eu ces réflexes-là mais les clients qui viennent nous voir aujourd’hui veulent justement sortir de la dépendance aux coûts de l’énergie. C’est en ce moment que se joue l’avenir énergétique à long terme.”

Aujourd’hui Geosophy, qui tire son nom de l’étymologie grecque et signifie la sagesse (“sophia”) de la terre (“geo”), a reçu le label GreenTech Innovation, décerné par le Ministère de la Transition Écologique, et le label Solar Impulse Efficient Solution, qui récompense les entreprises qui mettent en avant des solutions existantes à la fois propres et rentables. En effet, la géo-énergie est une énergie disponible localement, durable, décarbonée, elle ne dépend pas de la météo comme les panneaux solaires, permet un stockage et son installation dans les sous-sols ne détériore pas le paysage. Une alternative qui permet d’exploiter les ressources renouvelables de la Terre et qui, selon Alice Chougnet, serait applicable sur 90% du territoire français – sur les 10% restants elle serait trop compliquée à installer à cause de risques géologiques ou de code minier – et pourrait couvrir la moitié de nos besoins en chauffage et rafraîchissement.