Hélène Langevin-Joliot

Physicienne nucléaire et directrice de recherche honoraire au CNRS

À son domicile, Antony

Hélène Langevin-Joliot

Hélène Langevin a la physique nucléaire en héritage et un long passé dans la recherche fondamentale, ce qui fait d’elle un témoin privilégié et une fine observatrice de l’évolution de la Recherche et des rapports entre sciences et société.
Promotion 64 de l’ESPCI Paris-PSL

Hélène Langevin-Joliot est la petite-fille de Pierre et Marie Curie, la fille d’Irène et Frédéric Joliot-Curie et l’épouse, aujourd’hui veuve, de Michel Langevin, petit-fils du physicien Paul Langevin. Elle a reçu la physique nucléaire en héritage et la conception d’une science émancipatrice avant d’être utilitaire, conception qui fut celle des Curie et des Joliot-Curie. Elle est une citoyenne engagée, à travers ses prises de positions publiques et ses conférences, en particulier pour la paix et l’interdiction des armes nucléaires. Son long passé d’exercice de la recherche fondamentale fait d’elle un témoin privilégié et une excellente observatrice de l’évolution de la Recherche et des rapports entre sciences et société.

“Quand j’étais enfant, je voyais que beaucoup de mes camarades avaient des mères sans profession. Ce n’était pas le cas de ma mère, alors avoir une profession plus tard me paraissait une évidence.” Hélène Langevin-Joliot se tourne assez naturellement vers la recherche et les sciences, d’autant que dans le foyer où elle grandit, le métier de chercheur n’apparaît pas comme quelque chose d’extraordinaire. Si elle avait dû choisir autre chose, elle aurait volontiers fait de l’Histoire, mais c’est donc dans les sciences qu’elle se lance. Et heureusement dit-elle, à cette époque, dans sa jeunesse – au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale – la médiatisation de Marie Curie n’avait pas atteint le niveau d’aujourd’hui. “Marie Curie n’était pas encore devenue le drapeau que l’on brandit pour illustrer la place des femmes dans les sciences.” Elle pouvait donc se lancer dans la recherche sans trop sentir le poids des Prix Nobel qui l’a précédaient dans sa famille.

Hélène Langevin-Joliot étudie à l’ESPCI, où ses grands- parents Pierre et Marie Curie ont découvert le radium et où son père Frédéric Joliot fut élève. Une fois son diplôme en poche en 1948 et sortie majore de sa promotion, elle est recrutée par le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS). C’est au sein de cette noble institution qu’elle fait toute sa carrière de recherche en physique nucléaire expérimentale. Elle se souvient d’ailleurs que cette discipline était “en plein développement et attirait beaucoup de jeunes chercheurs, mais les difficultés se sont accumulées jusqu’à la relance d’une politique de recherche au milieu des années 1950”. En 1957 les laboratoires parisiens de physique nucléaire déménagent sur le campus d’Orsay où la construction d’accélérateurs modernes est lancée. Hélène Langevin-Joliot participe à la mise en place de ces nouveaux moyens et au lancement de l’un des principaux accélérateurs. Elle dirige ensuite la division de recherche nucléaire de l’Institut de Physique Nucléaire d’Orsay (IPN Orsay) de 1979 à 1983. Puis de 1981 à 1985, elle préside la Commission de physique nucléaire du CNRS. Directrice de recherche émérite après sa retraite, elle poursuit ses travaux tout en consacrant du temps à des questions telles que l’évolution de la recherche, la prise en compte du patrimoine scientifique et tout particulièrement la place des femmes dans la science.

Selon Hélène Langevin-Joliot, l’abandon de la structuration de la Recherche en trois volets : recherche fondamentale ou connaissances, recherche appliquée, et programmes technologiques, encore utilisée il y a quarante ans, est dommageable, même s’il faut s’adapter au temps présent. “Ces trois volets n’impliquent ni les mêmes constantes de temps, ni les mêmes finalités. Ils ne peuvent pas être gérés de la même façon, quel que soit l’importance des rapports entre eux. La structuration en trois volets est remplacée aujourd’hui par le seul objectif d’innovation.” Alors que l’innovation est censée répondre aux exigences du marché, ce qui est donc bien loin du rôle émancipateur de la Recherche de connaissances nouvelles. “Celle-ci est alors effacée et avec elle les vocations stimulées par la curiosité et par la conviction que les connaissances accumulées pourraient être librement utilisées, dans l’intérêt de tous, le moment venu.” Elle appelle donc à ne pas voir la science comme quelque chose d’utile, quelque chose qui doit servir… car pour elle cette vision est trop légère pour susciter des vocations.

Hélène Langevin-Joliot s’investit, sur le tard dit-elle et avec réticence, sur les quotas pour l’accès des femmes aux carrières scientifiques et leur égalité avec les hommes, car cela lui semblait couler de source. Elle note que les efforts déployés pour ces objectifs ont permis de faire avancer les choses pendant une trentaine d’années, mais observe aujourd’hui un recul, ou tout du moins un ralentissement. Pour elle, ce recul ou ce ralentissement tiendrait pour beaucoup “à la conception étriquée de la recherche qui s’est imposée”.

Devenant présidente de l’association L’Union Rationaliste de 2004 à 2012, Hélène Langevin-Joliot centre une partie de ses activités autour des objectifs de l’association: la défense de la laïcité, de l’esprit critique et du rôle primordial de la science, mais aussi le développement de la culture scientifique pour tous et de l’enseignement des sciences dès le plus jeune âge. Elle est par ailleurs très consciente que le progrès scientifique seul n’entraîne pas nécessairement le progrès social. Et l’une des choses qui la préoccupe le plus aujourd’hui est “la confusion qui règne dans la société sur ce qu’est la science, ce qu’elle impose, ce qu’elle permet, à une époque où l’Humanité doit se mobiliser pour réduire les perspectives de réchauffement du climat et d’extinction de la biodiversité”. Pour elle il faut garder à l’esprit que la science est une œuvre collective et que c’est l’avis qualifié des communautés scientifiques concernées qu’il faut rechercher.