Isabelle Guyon

Directrice de recherche scientifique chez Google Brain, professeure à l’Université Paris-Saclay et présidente de ChaLearn

San Francisco, photo © Anthony Thornton

Isabelle Guyon

Elle fait partie des pionniers de l’Intelligence Artificielle et est devenue une référence de taille dans le domaine. Isabelle Guyon est partie vivre aux Etats-Unis et a rejoint désormais Google.
Promotion 100 de l’ESPCI Paris-PSL

Dans le domicile familial où elle grandit, il y a souvent des revues de vulgarisation scientifique, dont son père est friand, c’est peut-être cela qui lui donne le goût des sciences. Isabelle Guyon s’intéresse très tôt à la physique et dévore dès l’adolescence les biographies de nombreuses figures scientifiques, avec une passion particulière pour Thomas Edison et Marie Curie – ayant fait des recherches à l’ESPCI – intégrer cette école s’avère donc être une grande joie pour elle. Elle y entre à l’époque où le physicien et Prix Nobel Pierre-Gilles de Gennes vient d’en prendre la direction et veut lui donner un nouveau souffle, avec notamment un enseignement moins “scolaire” et beaucoup de travaux pratiques. Là-bas Isabelle Guyon découvre assez vite qu’elle veut se diriger vers la recherche fondamentale et commence à se spécialiser dans l’analyse des données et la création de modèles prédictifs.

Considérée aujourd’hui comme l’une des pionnières de l’intelligence artificielle, elle débute dans ce domaine dans les années 1980, alors que cette science n’est encore qu’à ses balbutiements. Elle la voit donc évoluer et notamment des modèles émerger, tomber dans l’oubli, revenir à la lumière, d’autres modèles apparaître. comme les réseaux de neurones par exemple ou les algorithmes de rétropropagation. A sa sortie de l’ESPCI, Isabelle Guyon rejoint finalement l’industrie en partant travailler aux Etats-Unis pour les Laboratoires Bell, spécialisés en télécommunication et information. Elle participe notamment à l’invention, dans les années 1990, d’un autre modèle d’algorithme d’apprentissage appelé “Support Vector Machine”, avec Bernhard Boser et Vladimir Vapnik.

Selon ses propres mots il n’y a pas eu de “progression linéaire ou exponentielle de l’Intelligence Artificielle”, elle a plutôt été faite “de phases d’engouement suivies de phases de désillusion”. Et même si l’Intelligence Artificielle a beaucoup évolué au fil des années, pour Isabelle Guyon les recherches sont bien loin d’être terminées. “Il reste beaucoup à faire avant d’atteindre des systèmes permettant de faire des suites de décisions de manière autonome et fiable, en respectant des normes de sécurité strictes. Cela dit, les progrès récents continuent d’être très impressionnants, particulièrement dans le domaine des modèles de langage et des modèles génératifs d’images.”

Pour Isabelle Guyon, “de nos jours Intelligence Artificielle est plus ou moins synonyme d’apprentissage statistique ou de machine learning” et elle peut avoir de multiples applications : reconnaître des chiffres, une écriture manuscrite, une voix, classifier des images, des vidéos, des mails. mais ces applications peuvent aussi intervenir dans le domaine médical. Grâce à ses travaux, Isabelle Guyon établit des méthodes de dépistage de cancer en étudiant les gènes, ou encore une application pour smartphone qui permet de détecter à partir d’une photo de grain de beauté s’il y a des risques de mélanome.

Récemment embauchée chez Google Brain, la branche de recherche de Google, elle va être amenée à définir une nouvelle direction de recherche et souhaite en particulier mettre l’accent sur les biais et les problèmes de confidentialité et d’équité. Selon elle, la quantité massive de données qui sont disponibles sur Internet aujourd’hui ne facilite pas la vie des chercheurs : ”L’importance d’avoir de bonnes données d’apprentissage devient de plus en plus critique. Sans compter que se saisir de données sans le consentement de ceux qui les ont créées pose des problèmes éthiques et légaux. Il risque donc d’y avoir un ralentissement des progrès en IA pour donner le temps à la communauté d’adopter de nouveaux standards de rigueur scientifique et d’éthique qui s’imposent.”

Titulaire d’une chaire ANR (Agence Nationale de Recherche) de recherche et d’enseignement en Intelligence Artificielle, à l’Université Paris-Saclay, Isabelle Guyon a à cœur le partage et la transmission de ses connaissances en recherche et de son expérience de l’industrie. Depuis plusieurs années maintenant elle est également présidente de ChaLearn, une association qu’elle a fondée pour organiser des compétitions en sciences des données, qui permettent de manière ludique de tester la performance des programmes et de stimuler la créativité.

Isabelle Guyon se désole de voir si peu de femmes dans sa discipline : il y aurait environ 20% de femmes qui travaillent dans l’Intelligence Artificielle et le plus embêtant est que ce chiffre stagne depuis plusieurs années. Elle souhaite que l’Intelligence Artificielle puisse à terme se démocratiser à tous les secteurs de la société, mais met tout de même en garde : “Il appartient à la communauté des chercheurs en IA d’anticiper les risques que posent ces nouvelles technologies et de ne pas promettre plus que ce qui est réalistement possible.”